Des maisons et des hommes
Post dédicacé à Harley, qui, seul de mes pourtant nombreux lecteurs réguliers (mais un des trop rares à commenter !) a indiqué ses préférences pour le sujet du jour. P.S : Harley, caresse :-) et à tous, bonne lecture.
Ce qui caractérise Shanghai aujourd'hui ? La disparition inéluctable des vieux quartiers - remplacés par ces si hauts chatouilleurs du ciel -, l'omniprésence de grues, les changements radicaux des modes de vie.
Il n'en a pas toujours été ainsi, du temps où l'expansion urbaine touchait des rizières et des terrains inoccupés.
En 1845, des concessions sont construites pour les résidents étrangers. Le parti pris est de recourir à l'architecture européenne, tout en maintenant les principes de l'architecture traditionnelle chinoise : la maison shikumen voit le jour.
Le portail de pierre et les murs faisant enceinte en sont les caractéristiques majeures.
Elle abritait initialement une seule famille, et les pièces à vivre se répartissaient autour d'une cour d'agrément, les pièces privatives étant à l'étage. Une seconde cour, plus petite, servait pour les communs.
Les concessions étrangères ne le resteront que peu de temps : la spéculation immobilière, puis l'afflux des réfugiés chinois fuyant leurs provinces en raisons de troubles et de famines augmentent massivement la demande de logements. Des lots de ces concessions seront vendus aux chinois, dorénavant autorisés à investir des lieux réservés aux étrangers, et les maisons shikumen (transformées par l'ajout d'un étage supplémentaire, par le rétrécissement du jardin en simple ruelle de passage entre deux bâtiment) se répandront comme une trainée de poudre : elles composeront jusqu'à 60% de l'habitat de Shanghai entre 1850 et 1940.
La demeure unifamiliale ne le reste pas non plus, mais la conception du logement n'a pourtant pas varié : une unique cuisine - soit une pièce au fond de la cour secondaire, soit des installations précaires au début de la ruelle - des sanitaires inexistants...
Souvent, entre le 1er et le 2è étage, on trouvait une petite pièce, mal exposée (très froide l'hiver et très chaude l'été) qui pouvait être louée aux visiteurs de passage. Ainsi, dans les années 1920/1930, quelques chefs d'oeuvre de la littérature y ont été rédigés par des auteurs désargentés désireux de s'intaller temporairement à Shanghai.
Aujourd'hui encore, dans les lilong encore debouts mais bien abîmés par le temps et l'absence de travaux d'entretien, la vie quotidienne est toujours précaire et communautaire. L'entassement des familles ne permet pas à chacun de disposer d'une réelle chambre, de cuisines ou de sanitaires individuels : certains, notamment au rez de chaussée, disposent d'une "vraie" pièce, qui leur sert à tout, et dans laquelle le lit occupe la place prépondérante (inconvénient, cette pièce peut servir de passage vers d'autres logements...), d'autres n'ont pas cette chance, et une sorte de mezzanine d'une hauteur de faux plafond sert à poser le matelas et les objets divers n'ayant trouvé place au sol. Pour la cuisine, les fourneaux encrassés s'entassent dans la ruelle ; quand j'indique "cuisine", je ne parle pas d'évier : celui-ci est un peu plus loin, et joue également le rôle de lavabo. Certains ont eu le privilège de disposer d'une chambre avec balcon : il sera réquisitionné et fermé pour créer l'extension cuisine ou salle de bain.
Ainsi, aucune maison ne se ressemble plus, modifiée par la succession de ses habitants, par les habitudes prises par chaque lilong.
L'insalubrité est une fatalité dans ces endroits, et hormis les quelques quartiers qui ont fait l'objet de rénovations, rien ne peut sauver les lilong de la destruction.
Xintiandi est LE quartier modèle de la réhabilitation, et aujourd'hui un endroit à la mode où boutiques de luxe et restaurants se côtoient tandis que les touristes (locaux et autres) flânent avant de rejoindre les artères plus commerçantes de Nanjing Lu ou de HuaiHai Lu.
Mais ce quartier est récent : avant 1996, date de sa reconstruction, 2.800 familles, soit 8.000 personnes se partageaient les 30.000 m² qui le composent. Je vous laisse faire le ratio du m² par habitant...(n'oubliez pas l'étage!!)
Ainsi donc s'achève l'ère de l'horizontalité, d'une vie sociale active grâce à la proximité immédiate et permanente du voisinage (n'oublions pas que le lilong - voisinage allée - est aussi appelé longtang - allée salon) au profit des hautes tours et de l'individualisme.